L’hymalayisme hivernal est-il possible sans Artur Hajzer ? Quand on a dit « A » il faut dire « B » et aussi « Z ». Il y a une volonté de venir à bout. La volonté d’accréditer la position de leader des Polonais dans cette discipline. C’est une belle idée et je la mène à bien avec passion. – il disait. Bien que l’expédition aux Gasherbrums lors de laquelle il est mort ne se soit pas déroulée dans le cadre d’un programme Polski Himalaizm Zimowy 2010-2015 (Himalayisme Polonais Hivernal 2010-2015), il était évident qu’il y est allé pour se préparer aux futures ascensions des sommets pas encore conquis en hiver. Artur Hajzer faisait partie des Guerriers de Glace, il était l’un des plus jeunes, il est resté à jamais un jeune Chef de Glace.
Article ci-dessous a été écrit par Jagoda Mytych. Il a été publié pour la première fois dans un magazine polonais npm (septembre 2013). Traduction: Michał Maciejewski
Chacun connaît un ou plusieurs de ses visages – a écrit la femme d’Artur Hajzer et sa meilleure ami Izabela Hajzer. Effectivement, à partir de son CV, on pourrait en créer plusieurs pour quelques personnes. Il était un grimpeur de la classe mondiale, le conquérant de sept sommets de huit milles mètres. Ayant du succès dans le business il était l’auteur et le principal dirigeant du projet grâce auquel les Polonais sont à nouveau partis à la conquête des sommets de huit milles mètres en hiver. Même si tous les objectifs qu’il se fixait n’ont pas été réalisés avec succès – il n’a jamais baissé les bras. Sa ténacité, son sens de l’esprit mordant et sa volonté de partager son savoir et son expérience étaient bien connus.
Il est mort le 7 juillet 2013 durant la descente du Gasherbrum I, l’un des deux sommets de huit milles mètres qu’il voulait gravir cet été pour « se maintenir en forme et garder le contact avec la haute altitude avant d’éventuelles expéditions hivernales dans les années à venir ». Nous lui avons dit « au revoir » le 24 juillet dans la cathédrale de Katowice, la même dans laquelle il y a 24 ans s’est déroulé la messe pour Jerzy Kukuczka. Un discours émouvant durant la cérémonie a été prononcé par Janusz Majer, non seulement son partenaire d’affaire de longue date mais également son ami.
Quand je travaillais sur ce texte, Majer m’a dit: « Tout le monde connaît un de ses visages. Justement, je pense que je les connaissais tous. Quand on travaille avec un ami, l’amitié est souvent mise à rude épreuve mais nous y sommes toujours arrivés. Nous avons survécu aux moments difficiles et aux tempêtes.
Eléphant
Il est né le 28 juin 1962 en Silésie. Il termine ses études dans le domaine des Sciences de la Culture à l’Université de Katowice étant depuis son adolescence proche du milieu de l’escalade en Silésie. Il y est connu sous le surnom « Słoń » (Eléphant). Il débute l’escalade à l’âge de 14 ans dans le Club des Scout de Tatras.
Sa future carrière de grimpeur sera liée avec le Club des Hautes Montagnes nommé à cette époque « le meilleur club himalayen au monde ». Parmi ses membres on compte Jerzy Kukuczka, Krzysztof Wielicki et Ryszard Pawłowski.
Nous étions une grande famille dans ce Club. La vie tournait autour de celui-ci. Nous passions le temps à des sorties d’escalade ou à des expéditions en montagne mais nous travaillions également ensemble. Nous faisions la fête et allions aux concerts. Artur était une personne appréciée dans le Club. Il était l’un de ces jeunes à qui on prédisait un grand avenir et cela s’est révélé juste car à ses trente ans il a déjà remporté bien des choses – se rappelle Janusz Majer, depuis 1980 le président du Club de Haute Montagne à Katowice et aujourd’hui son membre d’honneur.
Artur Hajzer est non seulement un grimpeur remarquable mais aussi un couturier talentueux et ingénieux. Il coud pour lui-même et pour les collèges ascensionnistes – en commençant par des harnais et en finissant par des vêtements et des anoraks en duvet. Une expérience inestimable étant donné le fait qu’il sera en Pologne l’un des créateurs d’un secteur outdoor. La rénovation en peinture de grandes cheminées d’usine ne lui est pas étrangère non plus.
Les journées se suivaient et se ressemblaient: dès le matin jusqu’au soir nous gardions les rouleaux de peinture en mains. Heureusement les week-ends nous partions vers le plateau de Cracovie-Częstochowa (Jura cracovien) pour consacrer notre temps à perfectionner notre niveau d’escalade. Nous ne savions pas encore dans quelles montagnes nous allions pouvoir vérifier nos aptitudes – se remémorait l’été 1982 Artur Hajzer dans son livre « Atak rozpaczy » (« Cri de désespoir »).
Et c’est justement l’année de ses 20 ans qu’Artur Hajzer débute son aventure himalayenne en partant dans la région Rolwaling Himal. L’année suivante il prend part à l’expédition au Tirich Mir, le plus haut sommet de l’Hindou Kouch (7706 m n.p.m.). En 1985 Hajzer s’essaye pour la première fois à la face sud de Lhotse. Un autre représentant du milieu de Katowice – Jerzy Kukuczka – rejoint le groupe quand l’expédition est déjà à la hauteur du camp V.
Malheureusement, malgré la rencontre de son idole et de son futur partenaire, Artur Hajzer perd durant cette expédition son compagnon de l’époque. Sur Lhotse est mort Rafał Chołda. Hajzer a écrit: « depuis que l’on s’est encordé pour la première fois en 1981, nous suivions toujours le même chemin ». L’expédition échoue. Rapidement il se remet en route vers une nouvelle expédition, cette fois-ci hivernale, au Kangchenjunga. A nouveau il ne monte pas jusqu’au sommet et encore une fois il est témoin de la mort en montagne, celle d’Andrzej Czok.
Partenaire de Jerzy Kukuczka
Quand on cherche les mots pour décrire la personne d’Artur Hajzer, l’un des premiers est toujours celui-ci « partenaire de Jerzy Kukuczka ». Bien que leur première expédition commune ne soit pas une réussite, après Lhotse, Hajzer se sent plus confiant.
« J’ai commencé à croire en mes capacités. Je me suis rendu compte que mes premiers pas en montagne étaient semblables à ce que Jerzy avait vécu il y a plusieurs années. […] A la fin, j’étais persuadé que l’échec au Lhotse n’était pas définitif. La prochaine fois – comme en témoigne l’histoire de Jerzy – ça devrait aller mieux. » – évoquait après des années. Et justement, c’était le cas par la suite avec son partenaire, Jerzy Kukuczka.
– Tu voudrais peut-être venir avec moi, je prépare une expédition et j’ai besoin d’un partenaire. Qu’en dis-tu ?
– J’y vais à l’aveuglette – a répondu tout de suite à Kukuczka l’Eléphant.
« C’était gratifiant pour Artur. Il était très content. Jerzy Kukuczka a proposé à Artur de partir ensemble en cas de l’expédition à Manaslu et à l’Annapurna en hiver. Ce fut le cas et c’est la raison pour laquelle Artur ne s’est pas décidé à participer avec nous sur la route Magic Line à K2 » – a dit Janusz Majer.
« L’expédition à Manaslu (8156 m) était l’une des plus difficiles que l’on aient fait ensemble et qui furent réussi. Elle a eu lieu en automne 1986. De plus, cette saison nous avons voulu attaquer la face sud de l’Annapurna (8091 m) » – écrivait Artur Hajzer. Le 3 février 1987 ils réussissent la première ascension hivernale sur ce sommet.
En août 1987 ils partent ensemble pour une expédition estivale à Shishapangma durant laquelle ils réussissent à tracer une nouvelle voie sur l’arête ouest. La même année Artur Hajzer relève de nouveau le défi de la face sud de Lhotse sur l’expédition internationale organisée par Krzysztof Wielicki. Ce fut un échec. En 1988 il accompagne Jerzy Kukuczka, cette fois-ci durant une ascension sur une nouvelle voie de l’Annapurna Est. L’année prochaine Hajzer retourne pour la troisième fois sur la face sud de Lhotse. L’expédition internationale est dirigée par « le grand rival » de Kukuczka – Reinhold Messner.
« Après cette expédition j’ai réalisé que les prochaines tentatives seraient une perte de temps » – écrivait dans son livre « Atak rozpaczy ». C’est la raison pour laquelle il n’accompagnera pas Jerzy Kukuczka dans son ascension. « Il était évident qu’Artur a atteint le niveau de son maître et que sa propre ambition s’est éveillée. Il voulait réaliser ses propres projets de montagne » – se rappelle Janusz Majer. Le 24 octobre 1989 Jerzy Kukuczka déroche de la face sud de Lhotse et trouve la mort. Artur Hajzer abandonne alors les ascensions pour de longues années.
« J’ai mis 15 ans à me remettre de la mort de Jerzy Kukuczka » – c’est tout ce qu’il m’a dit par rapport à cet accident et il s’est arrêté de parler un instant. Il semblait qu’il ne relatait pas une histoire qui avait lieu il y a plusieurs années mais qu’il vivait une information qui venait d’arriver. Lorsqu’il sera revenu à Lhotse, plus tard dans le cadre de PHZ, il dira que c’était comme « « une discussion avec les fantômes ».
Sauveteur et sauvé
L’année 1989 est pour l’hymalayisme polonais aussi tragique que 2013. C’est alors que cinq grands himalayistes polonais sont morts sous une avalanche au col Lho La durant une expédition sur l’Everest : Eugeniusz Chrobak (leader de l’expédition), Zygmunt Andrzej Heinrich, Mirosław « Falco » Dąsal, Wacław Otręba et Mirosław Gardzielewski. Il ne survit que l’un d’eux – Andrzej Marciniak – qui souffrant d’une cécité des neiges attend les secours. Artur Hajzer est à ce moment-là à Katmandou. Sans hésitation il commence à organiser une action de secours du côté de la frontière chinoise car c’est une seule option possible.
Il y avait alors des protestations sur la place de Tiananmen. Les frontières étaient fermées et bien surveillées. On avait besoin d’un soutien de la part de l’ambassade américaine. L’organisation d’une telle action était plus compliquée que l’action en elle-même. Mais j’avais reçu un ordre de la part de Janusz Majer disant – « soit tu fais quelque chose, soit c’est balayé ». Dans les situations pareilles il ne faut pas hésiter longtemps, sinon ce sera trop tard – se souvenait Hajzer.
Il semblait que c’était une unique personne qui soit capable d’organiser des secours dans une telle situation – compliquée et critique. Malgré la présence dans notre base de quelques bons grimpeurs, les risques d’avalanches rendaient impossible l’approche de notre côté. Il ne restait que la solution alternative. Pour Artur cela représentait un défi, donc la quintessence même de son parcours et de sa vie. Il a commencé tout de suite à agir. Il a parlé avec Messner, lui avec l’ambassadeur italien, celui-là le lendemain jouait au tennis avec l’ambassadeur russe… Le but était de parvenir aux Chinois et d’avoir un accord pour une action de secours – dit Janusz Majer.
Pour cette action de bravoure sur l’Everest Artur Hajzer recevra un prix Fair Play de la part du Comité Polonais Olympique. Vingt ans après cet événement Andrzej Marciniak sera mort durant l’escalade dans les Tatras. Questionné sur ce sujet, Hajzer répondra que pour lui le plus important était d’offrir à Marciniak vingt ans de vie de plus.
Mais Artur Hajzer n’est pas seulement sauveteur mais lui aussi a été sauvé. En 2005 sur Broad Peak il se fracture la jambe en haute altitude, près de 8 000 mètres. L’action de secours est dirigée par un grimpeur polonais qui l’accompagne – Piotr Pustelnik.
Février 2008, les Tatras, l’objectif: traverser l’arête des Tatras de l’Est sans pause. Je marche avec trois hymalayistes expérimentés. Je me sens en sécurité. On marche depuis 22 heures, nous sommes près de la montée vers Ciemniak. Artur marche le premier et soudainement il disparaît. Situation stressante – Piotr essaie de capter le réseau et d’appeler le TOPR (Secouristes Volontaires des Tatras), Darek court en bas. C’est bon, TOPR est au courant, ils vont venir. En entendant l’hélicoptère, nous descendons lentement en silence. Les minutes s’écoulent. Tout d’un coup une sonnerie – le message de la part d’Artur: « Je suis vivant ». Première pensée: « Artur, tu es invincible ». Cette pensée m’accompagne même aujourd’hui – se rappelle l’hymalayiste Tamara Styś.
Entrepreneur
Après 1989 Artur Hajzer se retire de la pratique de l’escalade et démarre avec Janusz Majer une activité commerciale. Ainsi une marque culte en Pologne des années 90 est née – l’Alpinus.
« Après l’incident sur l’Everest Artur avait eu une idée de gravir les 14 sommets en un an. Nous aurions du avoir un million de dollars pour cet objectif. Nous avions commencé à compléter les permissions, l’organisation était avancée. Nous avions même fait des cartes de visite. En automne 1989 quand Jerzy Kukuczka était sur Lhotse, nous sommes allés avec Artur au salon ISPO chercher un sponsor pour financer notre projet. Nous avions parlé entre autres avec Albrecht von Dewitz, le créateur de Vaude, une grande marque allemande d’outdoor. Tout compte fait, nous n’avons pas trouvé de sponsor pour un projet himalayen mais un partenaire d’affaire – raconte Janusz Majer. – Nous fabriquions des vêtements d’abord pour Vaude et ensuite pour l’Alpinus. De la part de Vaude nous avons reçu le savoir-faire. Nous connaissions bien les produits de montagne ce qui était notre avantage. Nos produits étaient renommés d’être de bonne qualité. Je rencontre encore des personnes vêtues de nos vestes des années 90. – ajoute-il.
Très bonne qualité des tissus et des technologies avancées associées avec l’intérêt des Polonais pour l’outdoor pas assez manifesté ont l’impact sur les problèmes financiers de la marque et leur faillite. Les créateurs de la marque ne se découragent pas. Le projet suivant de Hajzer et Majer sera une marque de vêtements plus abordables financièrement – HiMountain – dont les produits peuvent être rencontrés un peu partout dans les montagnes polonaise.
Nous avions déjà de l’expérience après la faillite de notre dernière entreprise. Alors en fondant HiMountain, nous nous sommes efforcés d’éliminer les causes d’un échec précédent. En revanche, nous n’avons pas renoncé à la qualité. Artur était très créatif et il suivait toutes les tendances du marché. Il savait bâtir un groupe de travail et concevoir des projets dans la réalisation desquels les gens participaient volontiers – dit Janusz Majer.
Après 15 ans dans l’industrie Artur Hajzer réalise que « sans montagnes il ne peut pas vivre sereinement ». Il revient en 2005. Tout au début, en quelque sorte spontanément, il part avec Piotr Pustelnik à Broad Peak, ensuite avec Robert Szymczak à Dhaulagiri.
Leader des expéditions hivernales
Ses connaissances commerciales peuvent être retrouvées dans l’organisation du programme Polski Himalaizm Zimowy 2010-2015 (Himalayisme Polonais Hivernal 2010-2015). Selon les paroles d’Artur Hajzer ce programme était né pour convaincre La Fédération Polonaise d’Alpinisme (PZA) de financer les expéditions vers les plus hautes montagnes.
Le fait que le programme existe dépend en 90% du travail derrière le bureau et du management. Je devrais le décrire un jour, comment c’est de l’autre côté du comptoir – plaisantait Hajzer.
Et tout a commencé ainsi. Le 14 novembre 2009 trois candidats pour devenir des hymalayistes viennent le voir: Arek Grządziel, Jacek Czech i Irek Waluga. Le lendemain expire le délai pour déposer les demandes de financement des expéditions.
Il était évident que le PZA ne donnerait aucun sous pour une voie normale si la réussite n’est pas certaine, même en hiver – on venait de me refuser l’expédition pour Broad Peak hivernal avec Robert Szymczak pour la saison 2008/09. J’ai imaginé alors que je fonderais un programme dont l’idée serait non seulement les ascensions empruntant les voies normales mais les hivernales dans les années à venir – se rappelait Hajzer.
Le projet est accepté et en mai 2010 une équipe part à Nanga Parbat dans le cadre du programme l’Himalayisme Polonais Hivernal 2010-2015. Artur Hajzer gravi le sommet avec Robert Szymczak. Durant une deuxième attaque un jeune de l’équipe – Marcin Kaczkan – accomplit aussi cette ascension. « Les jeunes » montrent également ses capacités pendant la course Elbrus Race.
L’expédition hivernal sur Broad Peak manque de réussites. L’expédition automnale à Makalu ne se déroule pas non plus comme il le souhaite Hajzer. Bien qu’il réussisse à monter au sommet le 30 septembre 2011, deux autres grimpeurs – Maciek Stańczak et Tomasz Wolfart – rentrent avec de graves gelures après une descente dramatique qui aura duré cinq jours. On commence à coller une étiquette à Hajzer, le décrivant comme celui qui met en danger les jeunes. Les remarques concernant « la maternelle de Hajzer » sont blessantes pour lui mais il croit qu’après un succès si attendu, le programme gagnera la reconnaissance des médias et de la société. Ce succès vient avec une ascension hivernal à Gasherbrum I réussie par Adam Bielecki et Janusz Gołąb en mars 2012.
Hajzer-leader est tout fier. Il peut désormais commencer à organiser d’autres expéditions unificatrices, tester d’autres grimpeurs et même penser à l’expédition hivernale à K2. Un sponsor entre en scène avec un parrainage du président polonais.
« En conséquence les autres expéditions ont suivi: printanière à Manaslu, estivale à K2 et automnale à Lhotse. Trois expéditions unificatrices en une seule année! Jamais dans l’histoire de l’hymalayisme polonais on n’avait eu un tel accès aux montagnes les plus hautes » – se remémorait cette période avec joie Artur Hajzer. Lors de l’expédition à Lhotse il désigne un autre grimpeur pouvant relever avec Adam Bielecki des défis hivernaux. C’est Artur Małek.
« Avant de rejoindre le PHZ , j’observais de près ce programme avec mon partenaire d’escalade Mateusz Grobel. J’avoue que j’étais assez sceptique envers la personne d’Artur Hajzer et envers ceux qu’il acceptait à PHZ pour les expéditions unificatrices. Je pensais toujours que c’étaient des spécialistes de triathlon ou des courses d’aventures mais rarement de vrais grimpeurs. Cela m’étonnait et me décourageait. Mais je ne voulais pas juger sans approfondir le sujet moi-même ce qu’est cet Hymalayisme – raconte Małek. – Quand j’ai rencontré Artur, j’ai vu une toute autre image de celle que je m’imaginais au début. C’était une année d’une relation intense. Quand on passe avec quelqu’un deux mois en expédition, tous les masques tombent. Artur avait besoin de grimpeurs pour son programme mais presque personne ne se présentait. C’était incroyable que durant les temps de Hajzer si quelqu’un voulait partir vers un sommet de huit milles mètres, il lui suffisait d’avoir une liste correcte de ses précédentes montées et de déclarer la volonté de partir. Jamais avant les jeunes n’avait eu un tel accès facile aux hautes montagnes. Si un grimpeur voulait s’essayer et partir en hiver, il pouvait le faire. Depuis 20 ans probablement personne d’autre n’avait rendu les hautes montagnes aussi accessibles aux jeunes. Il donnait une chance et la possibilité de la saisir – souligne le jeune grimpeur.
Małek avoue qu’il a mal jugé Artur Hajzer mais celui-ci sent tout de suite que le jeune est fort et il le joint à l’expédition hivernal sur Broad Peak. Avec lui sont dans l’équipe Adam Bielecki – déjà un star de l’hymalayisme, Maciej Berbeka – une personne de mérite dans le milieu de la montagne et un débutant dans les montagnes de huit milles mètres Tomasz Kowalski. Le rôle de dirigeant de l’expédition est désigné à Krzysztof Wielicki. Le déroulement de l’ascension – son succès et ensuite un retour dramatique – sera suivi par Artur Hajzer de Pologne. Berbeka et Kowalski resteront sur Broad Peak à jamais. On revit la situation de Makalu – une avalanche de critiques tombe sur Artur Hajzer.
Quand une autre expédition unificatrice part en avril à Dhaulagiri, Hajzer ne cesse pas de s’expliquer par rapport à Broad Peak. Son expédition suivante aux Gasherbrums pourra paraître comme une évasion devant le monde entier. En partie, ça lui permet de se couper des informations médiatiques et des polémiques sur l’internet. Ce sera en même temps un pas en avant sur la route vers une expédition hivernale à K2. Le pas inopinément interrompu.
« La leçon la plus important d’Artur Hajzer est celle du Gasherbrum je crois, quand il est mort. C’était sa dernière leçon au sujet des hautes montagnes. Que les gens y meurent, même les meilleurs. – dit Małek.
Mentor
Il n’était pas arrogant, ne créait pas la distance et avant tout il ne disait pas « en mon temps c’était mieux ». C’est une voix unanime de tous les grimpeurs de la jeune génération qui apprenaient sous le regard d’Artur Hajzer. D’où venait cette ouverture aux jeunes? Peut-être du fait que lui aussi se rappelait bien comment c’était d’être un amateur aspirant vers la première ligue.
Il était difficile pour lui d’être en même temps un collègue et un mentor. Ses blagues et son sens d’humour créaient une ambiance de potes mais il n’oubliait pas qu’il était également un leader. Artur avec son historique de grimpeur suscitait le respect et il était un vrai guide. Il lui arrivait d’être même sévère et sec. Chez lui le style démocratique se mêlait avec le style autoritaire, selon les besoins. Il savait prendre une décision, se faire obéir et éveiller le respect. Il avait des prédispositions dû à son expérience pour être un leader aux directives. Et en voulant conduire une expédition des hymalayistes avec une moindre expérience ou diriger un programme comme PHZ il faut être un leader – se rappelle Ola Dzik qui malgré son jeune âge connaît bien les dilemmes de l’organisation des expéditions. Elle a organisé et ensuite dirigé une récente expédition à Nanga Parbat durant laquelle tout le camp a été attaqué par des terroristes.
Artur était un type de leader qui ne disait pas ce que nous devions faire mais qui demandait ce que nous pensions devoir faire. S’il voyait que nous nous trompions, il suggérait une autre solution. Il observait minutieusement chacun de nos mouvements, chaque décision. Mais avant tout il nous forçait à réfléchir par nous-mêmes ce qu’en conséquence nous faisait apprendre plus rapidement.
Artur Hajzer est présenté comme le professeur de la jeune génération des hymalayistes et le médiateur entre les deux générations mais lui aussi apprenait sans difficulté les nouveautés.
Il nouait très facilement le contact avec de nouveaux groupes de grimpeurs. Il savait parler avec les jeunes, échanger les mails, il était actif sur Facebook, très ouvert aux nouveautés. Puisqu’il avait une pause en escalade, il absorbait par la suite tout le savoir. Grâce à son expérience nous améliorions sans cesse notre matériel. Personne dans le milieu ne soudait aussi bien les générations – pense Janusz Majer.
Rêveur
Artur Hajzer n’a jamais caché que la réactivation de l’hymalayisme hivernal en Pologne n’était pas uniquement une idée patriotique ou sportive qu’il aurait emprunté à Andrzej Zawada ou à Krzysztof Wielicki mais aussi sa propre ambition à lui. Le K2 en hiver lui tenait spécialement à cœur. C’était une dernière expédition qu’il voulait diriger. Se mettre la barre si haut – la situation qui laissait place libre aux critiques – n’étonnait personne.
« Le problème consiste dans le fait que je m’imagine toujours de grands exploits. Et quand ces choses deviennent de plus en plus importantes, apparaissent les personnes qui aimeraient me piquer ces idées. Et vu que je ne manquerai jamais d’idées, les critiques ne manqueront pas non plus. » – expliquait Hajzer avant son expédition aux Gasherbrums qui devaient être juste « une promenade », sûrement pas la dernière dans sa carrière. Il tâchait d’éliminer toutes les polémiques imaginables – aussi bien lui que Marcin Kaczkan ont participé à cette expédition grâce à son propre argent et ne bénéficiaient d’aucune aide publique. Il ne pouvait pas prévoir pourtant que cette expédition s’avérerait celle qui serait la plus médiatique dans sa carrière…
Pour certains sujets nous avions des avis divergents et nous nous affrontions mais en restant toujours corrects. Artur Hajzer avait de la classe qui caractérise les meilleurs grimpeurs du monde. Il est triste de lire des articles dont la motivation est seulement une fascination de la mort dans les médias. Parfois les mêmes personnes qui critiquaient il n’y pas si longtemps le PHZ et Hajzer lui-même, maintenant le décrivent comme un être extraordinaire. C’est dû au chevauchement de la thématique himalayenne et de la culture populaire au ras des pâquerettes. S’il y a une demande pour critiquer alors on va critiquer, quand on préfère glorifier, les mêmes personnes sont prêtes à glorifier… Je n’aime pas ça. Artur était content que les médias s’intéressent à l’hymalayisme mais maintenant cela se retourne un peu contre lui. Dans la culture populaire on a besoin des infos simple et facile à comprendre, il n’y a pas de place à la complexité et à l’analyse des faits. Artur Hajzer était une personne complexe. Pour parler sereinement de lui et de son œuvre il est trop tôt, il faut attendre à ce que la polémique sur l’internet et la tumulte dans les médias cessent – dit Ola Dzik, diplômée en sociologie et en psychologie.
Et qui sait, peut-être dans un avenir proche nous aurons non seulement en Pologne mais aussi dans le monde, des publications à la hauteur du projet et de la personne d’Artur Hajzer.
Le programme PHZ devait durer cinq ans. Jusque-là il a duré trois ans et pendant cette période les Polonais ont gravi pour la première fois le Gasherbrum I en hiver. C’était une expédition dont Artur Hajzer rêvait. On a pu profiter des expériences des expéditions précédentes aussi bien positives que négatives. C’est un fait qui a été remarqué dans l’histoire de l’hymalayisme et noté par le site ExplorersWeb comme un événement plus important que le saut de Felix Baumgartner. Ensuite il y avait une expédition hivernale à Broad Peak. C’est aussi une réussite remarquable mais chargée de tragédie. Dans ce cas, on est revenu vers une époque héroïque des ascensions des années 80 et on a manqué des standards lesquels quêtait Artur Hajzer – dit Janusz Majer en prévenant que pour commenter cette dernière expédition il vaut mieux d’attendre le rapport de PZA.
Tout le monde connaissait un visage d’Artur Hajzer – aujourd’hui chacun essaie de faire un devoir qu’il a reçu de sa part. « Car c’est une histoire, ce sont des rêves, car c’est une histoire digne d’être racontée » – c’est un extrait d’une chanson « Rêves » du groupe DKA qui est devenue tout de suite un hymne d’une course en mémoire d’Artur Hajzer organisé à Chorzów (« Course pour l’Eléphant »). Il montre aussi que le retour des Polonais en hautes montagnes avait une grande importance bien que peu de gens soient directement liés dans leur vie privée avec les montagnes. Grâce à Artur Hajzer personne ne pourra dire par rapport à l’hymalayisme – vous vantez ce que les autres ont et vous méconnaissez ce que vous avez vous-mêmes. Nous, nous connaissons et nous sommes fiers.
« Le monde a besoin de personnes qui prennent des risques. Ils inspirent, lancent des défis et ils tentent. Ils suscitent les étincelles et allument le feu qui brûle encore longtemps après leur mort. Ils ont le courage d’accomplir ce qui paraît impossible. Mais pas sans frais » – écrivait dans « Mroczna strona gór » (« Le côté obscure des montagnes ») Maria Coffey. Le monde a besoin des personnes comme Artur Hajzer.
Bernadette McDonald – écrivaine et journaliste, auteur du livre « Ucieczka na szczyt » (« Evasion au sommet »).
J’ai rencontré Artur Hajzer durant le travail sur mon livre. J’avais l’impression qu’au début il était réservé et méfiant. Mais progressivement j’ai remarqué son sens de l’humour caractéristique. Et aussi une grande fascination pour l’histoire de la Pologne. Pendant les mois qui suivaient il m’a envoyé une quantité de mail innombrable, parfois même sans un mot, juste avec un lien vers une histoire que je devais lire ou une musique d’un compositeur polonais ou une œuvre d’un artiste polonais – tout ça pour que je puisse mieux comprendre l’âme polonaise. Il est devenu évident pour moi que l’histoire était pour lui une source d’inspiration égale avec les montagnes. Je pense que le contexte historique avait une grande influence pour sa décision de réactiver l’hymalayisme polonais hivernal dans les plus hautes montagnes. C’était un objectif qui unissait ses deux grandes passions – l’histoire et les montagnes. Et avec cela, un grand sens de l’humour! C’est ainsi que je le garde en mémoire.
Janusz Majer – hymalayiste, ami d’Artur Hajzer.
Tout ce qu’il faisait dans la vie c’était des objectifs à la frontière des rêves. Mais ensuite il savait les réaliser. Le programme PHZ est une quintessence de son action. Quand il s’engageait dans quelque chose, il y allait de tout son être. Je l’admirais pour son retour aux ascensions actives en Himalaya et la façon dont il se préparait pour les expéditions. Il s’entraînait d’une manière conséquente. Il était suivi par un entraîneur et des médecins du sport qui le rééduquaient après des traumatismes. Et, souvenons-nous, qu’il était déjà après la quarantaine, avec un peu de surpoids et qu’il fumait des cigarettes. Il s’entraînait tous les jours et est devenu très endurant. Durant la première expédition à Broad Peak, il arrivait au camp de base juste derrière les porteurs. Eux, ils le tapaient sur l’épaule en disant – « Old is gold ». Il répondait – « Je ne suis pas encore si vieux! ».
Ola Dzik – hymalayiste, lauréate d’un prix « Panthère de Neige » .
Artur c’est zéro de publicité. Il était modeste quand on évoquait sa liste des ascensions. Il parlait de lui-même et de ses exploits seulement quand on le questionnait habilement. Et il n’avait pas cette manière de parler: « jadis, en mon temps, nous étions ainsi… ». Il avait son répertoire des ascensions qui impressionnait mais il n’avait pas besoin de l’étaler pour renforcer son prestige. Il avait une supériorité sur nous et il en était conscient. Mais bien interrogé, il partageait volontiers son immense savoir et de nombreuses anecdotes. Il s’y connaissait à l’histoire et aux problèmes socio-politiques d’une région de montagne donné. L’histoire des ascensions et de l’exploration des montagnes ne lui était pas étrangère. Il ne considérait pas des expéditions machinalement, dans le genre « on te dépose là-bas, t’y vas et tu rentres ». A part la montagne, il voyait aussi le pays, la région et ses habitants. Il avait un grand savoir à leur sujet. Quand nous étions à Islamabad, il me posait les questions concernant la géographie et la politique, par exemple quels sont les pays voisins du Pakistan, de quoi s’agit-il dans le conflit précis…
Artur Małek – hymalayiste, conquérant hivernal de Broad Peak
Chez Artur ce qui était excellent, c’était sa capacité de savoir unir la nouveauté donc les jeunes avec ce qui était vieux donc l’expérience des années 80. C’était un phénomène. Il connaissait toutes les nouveautés technologiques qui facilitaient les déplacements en montagne et qui n’existaient pas dans les années 80. Il n’avait pas de préjugés ni d’attitudes récalcitrante. Il introduisait tout le meilleur des nouveautés. Il voulait améliorer au mieux l’himalayisme polonais. Quand Andrzej Bargiel lui a montré le stretching et a fait avec lui des étirements, il les pratiquait ensuite tous les jours après un trekking ou de l’escalade, habillé en caleçon. Moi, je n’avais plus d’envie et lui, il s’étirait. Certains mentors ont des objections pour se servir des nouveautés technologiques – Artur n’en avait aucune. C’est lui qui a introduit l’utilisation du camelbak à l’hymalayisme hivernal. Pareils avec les gels. Il disait que sans les gels, il n’irait nulle part. C’était la quintessence d’Artur Hajzer – un maillon entre l’expérience et l’avenir. Je ne sais pas s’il y a quelqu’un d’autre en Pologne ou même dans le monde comme lui.
Agna Bielecka – hymalayiste, participante des expéditions organisées dans le cadre de PHZ.
J’ai rencontré Artur Hajzer pour la première fois durant un entretien d’embauche. Je postulais pour une fonction de directeur d’un camp de base lors de l’expédition à Gasherbrum I et Artur m’avait questionné scrupuleusement par rapport à ce que je pourrais apporter au groupe, les connaissances des relations publiques, de l’écriture, de la photographie, le montage des film etc… Depuis le début, les relations avec lui étaient très professionnelles. J’étais le manager du camp de base mais l’un de nos partenaire pakistanais avait des gelures et j’ai eu la possibilité de sortir vers le camp I. Après cette sortie Artur m’a proposé de participer à une autre expédition qui devrait se dérouler à Cho Oyu mais qui a finalement eu lieu à Lhotse. Sans lui, je ne serais jamais allée en Himalaya.
Il n’y a pas de raison pour lesquelles l’himalayisme hivernal soit un domaine des hommes. Artur était honnête quant aux évaluations des grimpeurs. Il traitait les gens selon le mérite et non pas selon le sexe. Peut-être au départ il n’était pas convaincu pour la participation des femmes aux expéditions mais déjà à Lhotse il disait qu’il ne comprenait pas les préjugés envers les femmes. Il savait regarder au-delà du clivage homme-femme. Nous nous opposions parfois car il lui arrivait d’être aussi insupportable. Mais quand nous n’étions pas d’accord, c’est lui qui avait toujours raison au sujet des montagnes. Il m’a fallu une expédition et demi pour comprendre que dans le domaine montagnard et de planification, c’est lui qui était le meilleur. On dit qu’il n’y a pas de personnes irremplaçables mais pour moi – étant donné comment il savait réunir les aptitudes de marketing, d’organisation et de direction d’un groupe avec la connaissance des montagnes – Artur Hajzer était unique dans son genre.
Reinhold Messner – hymalayiste.
J’ai fait connaissance d’Artur Hajzer à la fin des années 80. Il faisait parti d’une petite expédition que j’organisais (sur la face sud de Lhotse – ndlr). Selon moi, il était réfléchi et très compétent. Dur aussi. Il a conquis six sommets de huit milles mètres, certains en hiver. Il est mort à l’âge de 51 ans, le meilleur pour l’alpiniste. Je suis bouleversé et très triste.
Toutes les photos proviennent des archives privées d’Artur Hajzer et ont été publiées avec l’accord de ses proches. Pour le respect envers eux, on vous prie de ne pas copier ni de publier ces photos en mentionnant uniquement le blog comme la source.
Article d’origine: Jagoda Mytych
Traduction: Michał Maciejewski